J'ai passé le week-end dernier dans la capitale. Le premier mai, tous les musées sont fermés, c'est la fête du travail. Mais, pour mon plaisir égoïste, le parc de la Villette a dérogé à cette règle et jusqu'au 15 août, il accueille l'exposition itinérante en Europe d'un grand sculpteur américain, Duane Hanson. Et cerises sur le gâteau, non seulement l'entrée est gratuite, mais les médiatrices qui expliquent la démarche de l'artiste le font de manière particulièrement vivante et passionnée.
Les sculptures sont présentées dans un espace blanc minimaliste, mais subtilement, le dispositif de présentation intègre les déambulations des visiteurs de l'exposition. En effet, ces sculptures sont hyperréalistes, de taille réelle. Il est clair que celles qui sont mises en scène parmi des objets de la vie courante ont d'emblée aux yeux du visiteur le statut (on met le mot au féminin ?) de sculpture. Mais, certaines, par leurs poses naturelles, donnent plus qu'un instant l'illusion de faire partie des visiteurs. L'on ne peut résister à la tentation de s'approcher de près, pour vérifier si ces personnages sont vraiment inanimés. Intellectuellement le doute se lève, mais pas tout à fait au niveau de la perception. La peau des personnages est criante de réalité jusque dans ses plus petits défauts. Pas de lissage, de stylisation de la peau : le réseau bleuté des veines, les poils ou duvets, les tâches de rousseur, les marbrures rougeâtres, les fins plissés des articulations, les petits boutons..., tous ces détails concourent à une impression de réalité brute. L'on cherche la pulsation du sang sous la peau et c'est si bluffant qu'en vision périphérique, l'illusion du mouvement est là. Alors, l'on se recule pour vérifier que le personnage est vraiment immobile. Il faut se rassurer.
Passée cette fascination de l'hyperrréalisme, le malaise apparaît. Pour deux raisons : cette fascination pousse le spectateur à fixer les personnages, à s'approcher très près d'eux, bien plus près qu'il ne pourrait le faire avec ses concitoyens. Il transgresse un code social installé depuis l'enfance : "On ne dévisage pas les gens." Et de spectateur, il devient voyeur. Car il subsiste un léger doute sur la réalité du personnage.
La seconde raison tient à l'attitude des personnages : elle révèle la tristesse, l'accablement. Leurs regards sont tous obliques et dirigés vers le sol. Duane Hanson ne se moque pas de ses modèles, aucune ironie de sa part, mais plutôt de la compassion pour ces gens de la middle-class américaine, travailleurs englués dans le paradoxe d'une société de consommation qui les vide d'aspirations personnelles et les rend esclaves du travail, insatisfaits devant un mirage inatteignable. La sculpture de Duane Hanson est politique - "Et l'homme dans tout cela?"- elle témoigne sur son époque, elle critique un fonctionnement de société en montrant ses effets sur les individus. En cela, elle est humaniste et nous émeut.
Les deux sculptures que j'ai préférées se situent aux deux extrémités des âges de la vie : un bébé dormant dans sa poussette et cette vieille femme sur l'image de ce post. Elles reflètent beauté et humanité.
Lien vers La Villette
Pour en savoir plus sur Duane Hanson : lien vers Wikipedia
Voir des images des oeuvres.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire