26 février 2010

Les phrases de Soulages


Avant de continuer à vous parler des tableaux de Soulages, je donne la parole à celui-ci. L'exposition est ponctuée de phrases de Pierre Soulages, qui donnent des indications sur sa conception de l'œuvre picturale. J'en ai pris note tout au long de ma visite.

"Une peinture est une organisation, un ensemble de relations entre des formes, sur lequel viennent se faire et se défaire les sens qu'on lui prête." 1948

"C'est ce que je fais qui m'apprend ce que je cherche." 1953

"Un jour je peignais, le noir avait envahi toute la surface de la toile. Dans cet extrême, j'ai vu en quelque sorte la négation du noir, les différences de textures réfléchissant plus ou moins faiblement la lumière, du sombre émanait une clarté, une lumière picturale dont le pouvoir émotionnel particulier animait mon désir de peindre - j'aime que cette couleur violente incite à l'intériorisation. Mon instrument n'était plus le noir mais cette lumière secrète venue du noir. D'autant plus intense dans ses effets qu'elle émane de la plus grande absence de lumière. Je me suis engagé dans cette voie. J'y trouve toujours des ouvertures nouvelles." 2005

"Ces peintures ont parfois été appelées noir-lumière. Pour ne pas les limiter à un phénomène optique, j'ai inventé le mot "outrenoir", au-delà du noir une lumière transmutée par le noir, et comme Outre-Rhin et Outre-Manche désignent un autre pays, outrenoir, un autre champ mental que celui du simple noir." 2005

"La lumière venant de la toile vers le regardeur crée un espace devant la toile et le regardeur se trouve dans cet espace : il y a instantanéité de la vision pour chaque point de vue, si on change il y a dissolution de la première vision, effacement, apparition d'une autre ; la toile est présente dans l'instant où elle est vue, elle n'est pas à distance dans le temps." 1996

"Je crois que je fais de la peinture pour que celui que le regarde - moi comme n'importe quel autre - puisse se trouver, face à elle, seul avec lui-même." 2007

"La réalité d'une oeuvre, c'est le triple rapport qui s'établit entre la chose qu'elle est, le peintre qui l'a produite et celui qui la regarde." 1971

"Pourquoi le noir ? La seule réponse, incluant les raisons ignorées, tapies au plus obscur de nous-mêmes et du pouvoir de la peinture c'est : PARCE QUE."

24 février 2010

Soulages à Beaubourg : regarder autrement.

Dans le post du dimanche 1er novembre, je faisais part de mon désir de voir l'exposition Soulages à Beaubourg. C'est chose faite et l'émotion attendue a eu lieu.

Le site de Beaubourg, les magazines sur l'art, de nombreux livres présentent, expliquent la peinture de Soulages. Je ne ferai pas mieux.

En découvrant cette exposition, je me suis interrogée sur ma propre perception visuelle et la manière dont je " recevais" (le terme donne un sens incomplet) les tableaux de Soulages. C'est donc d'une expérience et d'un questionnement personnels dont je souhaite vous entretenir. Comment regarde t-on des tableaux, comment utilise-t-on sa perception visuelle , que signifie regarder ? Comment s'articule le ressenti à partir de cette perception ? Pourquoi est-ce que je donne la valeur d'oeuvre d'art aux tableaux de Soulages ? Questions presques philosophiques ... (sourire qui assume l'aspect prise de tête ou coupeuse de cheveux en quatre).

Je connaissais et aimais une partie de l'oeuvre de Soulages depuis très longtemps, par les livres, les magazines, l'emprunt d'une litho à l'artothèque municipale (le fait de devoir la rendre au bout de deux mois m'a fait renoncer à l'emprunt d'oeuvres d'art - trop difficile de se séparer de l'oeuvre fréquentée quotidiennement ), le déplacement à Conques. Mais, je n'avais jamais vu réellement les oeuvres produites par le peintre après 1979.
J'ai abordé cette exposition dans un état de disponibilité intellectuelle et perceptive. Les premières salles m'ont parues intéressantes du point de vue de la composition, mais je les aies passées assez rapidement, j'avais hâte de voir la suite. Je me suis arrêtée plus longuement dans les salles qui précèdent le couloir sombre et j'ai exploré différentes modalités de mon regard. J'ai commencé à regarder les oeuvres de plusieurs endroits, de très près, du plus loin possible, en enlevant et en remettant mes lunettes, de manière périphérique, très rapidement, en les fixant longuement et en laissant l'oeil chercher différents ajustements de la vue pour éprouver plus fortement le contraste noir blanc. Je les aies aussi regardées alternativement, en choisissant des endroits où en tournant juste la tête, je pouvais passer d'une oeuvre à l'autre immédiatement. Je les ai aussi regardées de manière plus analytique, observant la composition par rapport au format, la répartition et le poids des masses, les directions induites, les rythmes noir/ blanc, l'impact de petites taches blanches ou noires...etc. Je faisais des aller-retours entre une attitude purement perceptive et une observation analytique, l'une renforçant l'autre.

Et puis ce couloir noir, qui, je suppose, représente la rupture de 1979 dans la manière de Soulages d'aborder sa peinture. Et ce premier tableau, contre la paroi du couloir, rencontré d'abord par une vision tangente... L'irruption de la matière.

Lien vers Beaubourg

23 février 2010

Une oeuvre dans la ville : la fontaine de Niki de Saint-Phalle et Igor Stravinsky

Plutôt que de faire la queue avec elle pour entrer à Beaubourg, l'amie qui m'accompagnait  m'a suggéré  d'aller voir la fontaine réalisée par Niki de Saint-Phalle et Jean Tinguely place Igor Stravinsky.
La fontaine est actuellement en réfection, le spectateur  manque donc une partie de l'installation :  les reflets des sculptures et des bâtiments environnants sur le miroir de l'eau du bassin. A la place, apparaît le dispositif technique. C'est moins esthétique, cependant cet aspect mécanique m'a semblé s'accorder à l'oeuvre présentée.
Et, j'ai un goût prononcé pour les sirènes en général. Celle-ci rayonne de féminité, et paradoxalement pour une sirène, donne une image de maternité accueillante.
Je vous propose un diaporama sur la gauche du blog et vous pouvez admirer des vues panoramiques de la place ici.


Pour en savoir plus sur Niki de Saint-Phalle
Pour en savoir plus sur Jean Tinguely

19 février 2010

Vie antérieure

Ce tableau constitue une série de trois avec "La géante" et "Correspondances".
Dimensions : 40x40
Technique : médium enduit, fond de carmin d'indigo absorbé, aquarelles, pigments, gouaches, impressions d'un carré lino de runes, traitées en vitrail
Outils : vieux pinceau, papier mousseline, plume carré tape.

17 février 2010

L'esprit de l'ouest







1841-Mars



"J'entends un homme qui sonne de la trompe dans le soir tranquille et croit entendre la plainte de la Nature. Dans ce son que je rattache à un homme, il y a pourtant quelque chose de plus grand que l'homme. C'est la terre qui parle. Ce son semble reculer très loin l'horizon, il y a quelque chose de grand dans sa distance, comme lorsqu'on rejette la tête en arrière pour parler; les notes que j'entends à l'ouest sont une invitation jetée à l'est. Elles courent autour de la terre, comme l'écho d'une galerie acoustique. C'est l'esprit de l'Ouest qui appelle l'esprit de l'Est, à moins que ce ne soit le fracas d'un équipage qui s'attarde dans le cortège du jour. A travers l'ombre et le silence, tout ce qui est grandiose semble surgir ici. Ce son est aussi amical que la lampe lointaine de l'ermite. Quand il forme des trilles et des modulations, les cieux semblent plier sous le rythme, en vagues successives qui les parcourent. "



H.D. Thoreau, in "Journal"

15 février 2010

Concours calligraphie/haïku du forum Encre et lumière


Une grande partie de la France est en vacances. Du temps libre, du temps pour calligraphier. Que calligraphier ?
Réponse : un des haïku gagnants du concours du forum Encre et lumière. De jolis prix calligraphiques à gagner, et surtout le plaisir de participer.

Déguster les haïku


Renseignements sur le concours : règlement 



Le blog d'une des gagnantes



PS : Le montage ci-contre a été réalisé par Emmanuel Spaëth. 




Ce concours de haïku  m'a donné l'occasion de m'intéresser au monde des haïku, art bien vivant sur la toile. Le blog ci-dessus mais aussi celui de Mido que je visite tous les jours. A en lire régulièrement, je me surprends à en composer moi-même en regardant autour de moi. Je le vois comme une façon de mettre des mots sur des sensations, des sourires intérieurs. Cet après-midi, en roulant dans la ville j'ai aperçu sur le trottoir, un drôle de jeune gars avec un vieux casque sur la tête, un blouson et les genoux qui dépassaient d'un vieux solex blanc.

Modeste petit essai :


Boutonneux -
juché sur un solex trop petit
Anachronique
 

Aux premières lueurs du jour





Aux premières lueurs du jour je me suis levé lentement. Je suis monté à l'échelle du mur, et, par la lucarne, j'ai regardé passer les gens qui s'en allaient.

               Pierre Reverdy,  in "Plupart du temps"








Dimensions : 20x20


Technique : médium enduit, bases colorées : brun chocolat, gris moyen, gris bleuté, blanc cassé.
Pigments : violet de mars, noir de fumée, extrait de cassel, carmin d'indigo, blanc de titane.

Ecriture avec une vieille plume J.

La composition a été structurée dès le départ, à l'enduction. Ce petit carré médium trouve son origine dans mon carnet de fonds de matières.







14 février 2010

Essai d'outil 2 : le Suede pen














J'ai retrouvé un outil que j'avais acheté chez John Neal et jamais utilisé : un suede pen.
Celui-ci mesure 25 mm. Il est constitué d'une lame de métal rigide emmanchée recouverte d'un morceau de suédine. La suédine est un tissu industriel qui imite le daim, qui était très à la mode dans les années 80 pour la confection de vêtements et de canapés. Le fabricant indique que cet outil permet de calligraphier sur des supports verticaux. Mais je l'ai utilisé à l'horizontale, avec du noir de fumée.
Pour commencer, comme tous les outils de John Neal, il est très esthétique.


Il glisse avec douceur sur la feuille, presque comme un pinceau plat mais avec plus de confort car il permet de prendre des appuis sûrs. Il garde longtemps le médium et plus celui-ci s'épuise, plus l'on obtient des traces douces et délicates. A ce moment-là, on peut juste le tremper dans l'eau et recommencer à tracer pour obtenir un trait plus uni  et transparent.
J'ai travaillé en superpositions, avec un pigment fin : l'appui de l'outil déplace les pigments de la trace précédente et selon le degré d'humidité, remplace la première trace. Cela offre des possibilités d'illusion de profondeur, de suspension dans le vide, de transparence.

11 février 2010

Le son est presque pareil au silence

1838


Décembre

Le son est presque pareil au silence :
c'est, à la surface
du silence, une bulle qui crève aussitôt, emblème de la force et de la fécondité du courant souterrain. C'est une faible articulation du silence et qui ne plaît à notre nerf auditif que par le contraste qu'il crée.
En proportion de ce contraste, et dans la mesure où il exhausse et intensifie le silence, il est harmonie très pure et mélodie.

                 H.D. Thoreau







Dimensions : 30x30
Technique : médium enduit, pigments (ultramarine, carmin d'indigo, blanc de titane), crayon pastel, plume carrée et plume baïonnette.
S'affranchir des règles de la mise en page : supprimer les espaces entre les mots, les interlignes, connecter certaines lettres, aller à la ligne au milieu d'un mot, s'offrir de petites zones de respiration, "déjustifier" le texte, le suspendre à droite du carré. Le sens n'est plus seulement porté par les mots (encore un peu quand même, la lisibilité est au rendez-vous) mais par l'aspect graphique de la trame de lettres.

Ce tableau est pensé pour être vu de loin, mais en y regardant de plus près une trame vivante apparaît ton sur ton sur la zone bleu foncé. Le courant souterrain se laisse discrètement apercevoir.


09 février 2010

Odeur marine

Dimensions fermé : 13x13
Dimensions ouvert : 26x26

La couverture est un patchwork de papier journal gouaché (recherches sur les couleurs, les gris chromatiques), froissé et repassé. Le collage fini est fixé au vernis acrylique en bombe avec une réaction chimique qui crée un léger voile blanc.
Le texte à l'intérieur compose une texture réalisée en divertissement graphique, empruntant ses formes aux caractères typos, à la chancelière. Les formes, les épaisseurs, les sérifs sont exagérées, les lettres sont tracées assez librement en manipulant la plume, en doublant certains traits. Certaines sont connectées, elles sont tracées au fil de la plume, les unes dépendant des autres, les précédentes et les suivantes. De loin, elles sont censées évoquer les fucus sur les rochers. Le titre du texte est en capitale romaine, en prenant un peu de liberté avec les formes classiques. La fin du texte adopte une anglaise réalisée un peu rapidement.

Support : Ingres MBM.   Encres : carmin d'indigo et aquarelle cendre bleue.

Le texte est de Roger Devigne, il fait partie du recueil "La mer en poésie", p93,  folio junior édition 1979.

06 février 2010

Essais d'outils 1


















 Le week-end dernier, j'ai suivi un stage Skrivañ sur la chancelière. Ma voisine de table, Takako est japonaise et revenait d'un séjour dans son pays. Elle a eu la gentillesse de nous rapporter des outils d'écriture japonais et ce qui me faisait très envie depuis très longtemps, un pot d'encre de correction d'un orange improbable très lumineuse, à la limite du fluo.


J'ai donc fait des essais.
De haut en bas :
1. Feutre noir dont la pointe est constituée d'une mousse souple et ferme à la fois. Beaucoup de contraste possible.
2. Feutre noir à pointe fine et dure : tracés fins très déliés avec un peu de plein.
3. Petit pinceau et encre orange : contraste et vivacité du trait. La pression est à doser pour obtenir de petits manques dans le tracé tout en gardant celui-ci présent.
4. Pinceau moyen : Idem petit tracé, avec plus de réserve d'encre, plus encore de contraste possible selon les appuis, mais demandant aussi  plus d'entraînement pour être maîtrisé.





J'ai réalisé ces essais sur du papier "jun chu shi" pris sur l'envers.

Derniers voeux 2010








Gaëlle Bellec



 

Gérard Guerry 

03 février 2010

Correspondances


J'ai discuté aujourd'hui de la perception sensible et le terme synesthésie est venu dans la conversation. En y repensant ensuite, ce texte de Baudelaire m'est venu à l'esprit.
J'ai toujours ressenti ce texte physiquement, avec les sens. Il situe l'être humain, homme de langage, dans le concert synesthésique de la nature.

 Dimensions : 40x60 Technique : médium enduit, pigments, gouaches extrafines, impression acrylique d'une plaque de lino gravée de runes. Ce motif crée des textures au milieu des couches de peinture, et par impression partielle, des circulations traitées de manière graphique. Cette utilisation sur différents niveaux, associée aux couleurs me permet de créer un relief optique. J'ai beaucoup procédé par ajout et retrait, pour créer d'autres textures très fines. L'écriture est elle aussi essentiellement traitée en textures gestuelles, pour créer des vibrations.

Energie, ascension, vibration, sensations primitives.



Lire le texte






01 février 2010

Menu livre pour Maryse

Menu livre dans le sens de petit, modeste.
Dimensions : environ 15x25.

J'ai choisi le texte dans " L'agenda du poète" de Bernard Friot. (journée du 24 octobre) En voici le texte :

"L'espace commence ainsi, avec seulement des mots, des signes tracés sur la page blanche."
                                                       Georges Pérec




J'ai eu envie de blanc, de quelques traces noires dans un espace virginal, voilé. J'ai utilisé des matériaux blancs qui existent au-delà de leur absence de couleur par leurs matières et leurs températures : papier artisanal du moulin de Kereon (Saint-Sauveur dans le finistère) à base de chanvre qui contient des coquilles d'oeuf sur lequel j'ai pratiqué des lignes de perforations à la machine à coudre (petits vides ordonnés), tissu d'organdi (froissé pour l'étui ), papier chinois Wenzhou (léger mais résistant), papier incluant des fils, papier japonais évoquant le papier à cigarette (blanc froid, grammage 35g). Ce dernier papier a été monotypé de quelques traces au noir de fumée et cousu d'une feuille de papier wenzhou. Le texte est lui aussi tracé au noir de fumée. La reliure est une simple couture machine avec un fil blanc.

J'ai tenté de décliner des oppositions subtiles : températures des blancs, poids des matières, surfaces des matières et un contraste net : noir sur blanc. Je voulais faire exister d'abord l'espace sur lequel se posent ensuite quelques traces, quelques mots. Et pourtant c'est ceux-ci qui transforment le vide en espace, c'est la dualité qui fait exister.



 



Le nom des matériaux compte aussi : les coquilles d'œufs évoquent l'oiseau, j'utilise souvent le noir de fumée mais je n'aurais pas choisi cette fois-ci le noir d'ivoire pour avoir la présence du terme "fumée", la simple prononciation du mot "organdi" suggère le blanc, la pureté, l'enfance, le sucre candi blanc (juste par proximité sonore). Ces mots créent un halo sémantique supplémentaire.
Toujours dans le même ordre d'idées, si je fais d'abord des choix visuels de couleurs, la force sémantique de leur nom leur permet parfois de s'imposer : violet de mars, caput mortuum...